Helen Keller : "On a fait de moi une mascotte de l'inspiration"
Entretien exclusif avec la militante socialiste, revenue d'outre-tombe pour dénoncer sa récupération édulcorée
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Photo de Helen Keller lors de sa remise de diplôme. (Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=476422) |
L'Amiénois : Madame Keller, première question : que pensez-vous de la façon dont on vous présente aujourd'hui ?
Helen Keller : (S'agite, visiblement furieuse) Cette mascarade sentimentale me révulse. On a transformé ma vie en conte de fées victorien. "La petite sourde-aveugle courageuse qui a surmonté son handicap"... Quelle indigence intellectuelle. J'étais une révolutionnaire socialiste, pas une mascotte de l'inspiration.
L'Amiénois : Vous semblez particulièrement agacée par cette image...
Helen Keller : (Explosion de colère) Agacée ? Je suis furieuse. Savez-vous ce qu'on enseigne sur moi dans les écoles ? Une version Disney de mon existence. On parle de mes "premiers mots" avec Anne Sullivan, mais on occulte systématiquement mes écrits politiques incendiaires. J'ai écrit "Comment je suis devenue socialiste", "Hors des ténèbres", des pamphlets contre la guerre, contre le capitalisme. Mais non, on préfère l'anecdote de l'eau du puits.
L'Amiénois : Vos positions politiques étaient pourtant bien connues de votre vivant...
Helen Keller : (Se redresse, indignée) Bien sûr qu'elles l'étaient. J'étais membre du Parti socialiste ouvrier. J'ai soutenu les grévistes, dénoncé l'exploitation capitaliste, milité contre la guerre de 14-18. J'ai écrit : "Le système capitaliste est la cause profonde de la pauvreté." Mais cette vérité dérange, alors on l'efface de l'Histoire.
L'Amiénois : Et que pensez-vous de votre utilisation actuelle dans la culture populaire ?
Helen Keller : (Exaspérée) Ces citations bidons sur Instagram... "La vie est une aventure audacieuse ou elle n'est rien" accompagnée de photos de couchers de soleil. Mais enfin, j'ai écrit sur la lutte des classes, pas sur la pensée positive. Et ces mèmes grotesques qui se moquent de mon handicap... L'industrie de l'inspiration a fait de moi une marque déposée de la motivation.
L'Amiénois : Vous en voulez particulièrement aux politiques conservateurs ?
Helen Keller : (S'échauffe dangereusement) L'ironie la plus cruelle. Ces réactionnaires qui citent mon "courage" pour justifier leurs politiques d'austérité utilisent mon image pour dire aux pauvres de "surmonter leurs difficultés". Mais moi, j'exigeais la justice sociale. J'ai écrit : "Tant qu'il y aura des pauvres, je ne serai pas riche. Tant qu'il y aura des prisons, je ne serai pas libre." Comprenez-vous l'obscénité de cette récupération ?
L'Amiénois : Comment expliquez-vous cette occultation de vos idées politiques ?
Helen Keller : (Analyse avec acuité) C'est la stratégie classique de neutralisation des figures subversives. On garde l'histoire personnelle, on évacue le message politique. Regardez Martin Luther King : on ne retient que "I have a dream", jamais ses critiques du capitalisme. Pour moi, c'est pareil : on garde l'handicap, on supprime le socialisme. Plus pratique pour vendre des livres de développement personnel.
L'Amiénois : Que pensez-vous de l'évolution des droits des personnes handicapées ?
Helen Keller : (Réfléchit profondément) Les avancées légales sont indéniables, mais l'approche reste fondamentalement libérale. On parle d'"inclusion" sans questionner le système qui exclut. J'ai toujours lié mon combat pour les handicapés à la critique du capitalisme. La pauvreté aggrave le handicap, l'exploitation économique le produit. Mais cette analyse systémique dérange.
L'Amiénois : Et l'utilisation de votre image dans la "disability porn" ?
Helen Keller : (Explose littéralement) Cette expression moderne résume parfaitement mon propos. On exhibe mon "courage" pour émouvoir les valides, on fait du voyeurisme avec la différence. Ces vidéos "inspirantes" sur les réseaux sociaux... "Si elle a pu le faire, vous aussi." Mais le vrai courage, c'était de dénoncer un système injuste, pas de prouver aux valides qu'ils n'ont pas une vie si difficile que cela, comparée à celle des personnes handicapées !
L'Amiénois : Un dernier mot pour ceux qui utilisent votre image ?
Helen Keller : (Se dresse, prophétique) Messieurs les récupérateurs de l'inspiration, vous avez fait de ma révolution une guimauve sentimentale. Vous vendez de l'espoir individuel là où je prêchais la transformation collective. Mais la vérité finit toujours par ressurgir. Mes vrais écrits sont disponibles, lisez-les. Et cessez de faire de moi une sainte laïque du capitalisme.
L'Amiénois : Merci Helen Keller pour cet entretien... révélateur.
Helen Keller : (D'une voix ferme et déterminée) De rien, camarade journaliste. Et rappelez-vous : "La science peut avoir trouvé un remède pour la plupart des maux, mais elle n'en a pas trouvé pour le pire d'entre eux : l'apathie des êtres humains." Au combat !
Propos recueillis par L'Amiénois, le journal qui réveille les figures historiques pour qu'elles secouent nos consciences endormies.
Note : Cette publication revendique son caractère PARODIQUE, mais force est de constater que Helen Keller était effectivement une militante socialiste dont les positions politiques ont été largement occultées par l'histoire officielle.
Helen Keller porte par ailleurs une part de la mémoire des personnes handicapées, mémoire que l'histoire contemporaine ne retient pas. Ou si peu.
Nous aurions pu être plus virulents, mais laissons le message d'Helen Keller primer :
"Tant que les classes laborieuses resteront dans l'ignorance, tant que la pauvreté forcera l'homme à vendre son cerveau et ses muscles au plus offrant, tant que l'humanité se divisera en oppresseurs et opprimés, la civilisation ne méritera pas ce nom."
Helen Keller - 1880-1968
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